La question revient sans cesse… Comme un reproche de n’aller jamais assez vite ! Mais pourquoi s’évertuer à coudre à la main alors que la machine pourrait le faire aussi ?
J’ai failli écrire »aussi bien », mais je ne m’y résous pas. Cette machine, dans toute sa puissance, dans toute sa performance, n’est pas encore parvenue à me convaincre.
La machine coud à deux fils : un dessus, un dessous. Ils forment les points de la couture avec la régularité et l’efficacité du système : flac, flac, flac, flac ! Concentré de technique mécanique ! De quoi faire pâlir d’envie les grands industriels !
»La main » coud à deux aiguilles, et le fil unique qui se dédouble au premier point dessine ensuite des 8 qui s’appliquent à se croiser au cœur de la peau. Des 8 couchés qui s’embrassent et s’inclinent »à l’infini » : ∞. On dit que le signe ∞ a la propriété « magique », presque »divine » de se recharger de lui-même en permanence… Plus qu’un moment de poésie, c’est une vertu que n’a pas le point cousu à la machine. Enlever l’un des deux fils est un jeu d’enfant, et alors le second fil suit de lui-même !
Découdre la couture à la main que l’on appelle le »point sellier » ne sera jamais aussi aisé. Pour ainsi dire, le point sellier ne se découd pas !
Au pire, le fil cède par frottement, en insistant lourdement, par l’usure du temps. Mais il m’est plus souvent arrivée de réparer un objet pour toute autre raison que pour une couture sellier affaiblie. Je n’en dirais pas autant du point machine…
J’assume désormais la présence de ma machine PFAFF à côté de mon établi. Elle me plaît bien. Elle a une bonne tête. Nous apprenons à nous entendre. Mais nous ne parlons pas toujours le même langage ! Il faut souvent prendre le temps de se comprendre. En fin de compte, elle me rend de précieux services. En retour, je lui délivre quelques gouttes d’huile et je la bichonne un peu. Mais elle reste à sa place de machine. Pas question de lui confier toutes les responsabilités ! Il y a des postes pour lesquels elle n’a tout simplement pas les compétences.
Le traditionnel »Point Sellier », qui désigne donc en sellerie-maroquinerie la couture »à la main » (abus de langage qui omet que les deux mains sont au travail), ou couture à deux aiguilles, est Roi dans mon atelier. Sachez toutefois qu’il ne peut se passer de sa pince à coudre (maintenue entre les genoux de l’artisan) et de ses alènes (ronde ou losangique). Il exige du temps, de la persévérance, de la régularité. Il peut être douloureux, pour les cervicales notamment. Mais il est solide, durable et beau.
Je l’apprécie sans équivalent pour ses qualités esthétiques et mécaniques, que la couture mécanique, précisément, n’égalera jamais.
Ci-dessous un exemple d’initiales cousues à la main avec le point sellier. Incliné, régulier mais »vivant ». On joue sur le double point pour imiter les pleins et déliés de la calligraphie.
Et les possibilités sont infinies ! Tous les motifs sont envisageables ! Même les plus fous ! La créativité a tous les droits…
Très prochainement, je vous raconterai dans les épisodes 2 et 3 comment est né ce dernier ouvrage, que vous apercevez sur les certaines images de l’article. De sa conception à sa »livraison », une très belle histoire que j’ai hâte de partager avec vous !